Paris, 1897. Les plus grandes puissances européennes se sont lancées à l’assaut de la Lune et de nouveaux matériaux découverts sur le satellite envahissent peu à peu la Terre. Ces grandes avancées scientifiques révolutionnent l’industrie et la médecine, mais pas pour tout le monde. Et dans les faubourgs, loin de l’hyper-centre protégé par le dôme sous lequel vivent les puissants, le petit peuple de Paris survit tant bien que mal. Violante est une prostituée sans mémoire, ignorant jusqu’à son âge réel. Dans un monde où son désir de vérité passe après celui de ses clients et de ses patrons, la jeune fille tente de retrouver la trace de ses origines perdues. Alors qu’une vague de meurtres particulièrement horribles ensanglante la capitale, Satine, son amie et seul soutien, disparait dans d’étranges circonstances. Violante, elle, se voit offrir une porte de sortie à ce demi-monde violent qui la retient prisonnière, mais décide malgré tout de prendre part aux investigations.
Scrineo – 375 pages – 16,90 euros.
Un roman steampunk décalé et original qui met sous tension dès les premières pages !
J’adore particulièrement tout ce qui a attrait au steampunk, et ce ne sont pas les livres sur ce thème qui manquent ces derniers temps. Rééditions avec des couvertures dorées, mise en avant dans les librairies, c’est un genre qui se met à la mode et qui se développe. Alors je ne pouvais pas passer à côté de Rouille, ce roman d’autant plus primé qu’il attire le regard…
Violante se tenait dans sa chambre, seule. Elle savourait cet instant de solitude, en se regardant au travers des miroirs qui parsemaient la pièce. Elle oubliait un peu ce qu’elle venait de faire, tout en ne songeant pas encore à ce qu’elle allait s’apprêter à recommencer dans peu de temps. Dans la maison close dans laquelle elle exerçait, ce temps entre chaque client était un moment de répit bienvenue. Déjà, elle entendait un bruit qu’elle connaissait par cœur, celui des pièces tombant dans un bol en fer, situé juste devant sa porte, signe que quelqu’un venait de payer pour pouvoir entrer la retrouver… Tout ne se passa pas comme elle l’avait prévue, et ce nouveau client était un peu abrupt pour elle, lui faisant articuler un gémissement de douleur. Elle n’en pouvait plus de cette vie, ce n’était pas vraiment elle, elle le savait. Mais comment savoir qui l’on est réellement lorsqu’on ne se souvient pas de sa vie avant qu’elle ne rentre dans ce bordel ?
Ayant quitté sa chambre avant même d’avoir satisfait son client, Madeleine, qui gérait l’affaire de la maison, ne voyait pas d’un très bon œil le comportement de Violante. Elle la conduisit jusqu’au patio, là où d’autres de ses collègues étaient occupées avec des clients, au milieu des plantes mécaniques qui servaient de décor. Une fois en vue d’un groupe de clients, Madeleine envoya Violante vers eux. Elle reconnut immédiatement le baron de Stern, ainsi que le commissaire Jouvin, qui travaillait pour la police criminelle. Ils étaient également accompagnés de trois autres hommes qu’elle n’avait jamais aperçue. Mais ce genre de clientèle plutôt haut de gamme attira aussi Livia, une autre de la maison close, mais c’était sans compter sur la petite taille de Violante, qui se faufila aisément jusqu’à eux. C’est ainsi qu’elle fit la connaissance de Armand de Vaulnay, un comte mystérieux qui évoqua des êtres hybrides, des animécas…
Des mystérieuses disparitions et des interrogations, le tout plongé dans l’ambiance particulière d’une uchronie à vapeur !
Ce roman est d’une efficacité sans pareil. L’auteure a su me mettre dans cette ambiance à la fois mystérieuse et glauque. J’ai été très surpris par la situation et les personnages rencontrés en premier lieu dans cette histoire. Je ne m’attendais pas du tout à voir cette histoire de maison close et de prostituées prendre le dessus. C’est plutôt inhabituel lorsque l’on évoque le fait que c’est un roman qui évolue dans un univers steampunk. Cet aspect est d’ailleurs clairement explicité avec de lourdes machineries, les avancées technologiques, les matériaux utilisés, l’habillement porté par les protagonistes et les quelques petits détails disséminés ci et là pour planter un décor fidèle de ce genre. J’apprécie aussi le fait qu’ici, à l’inverse d’autres romans steampunk que j’ai pu lire, il n’y ait pas d’explications techniques sur les technologies décrites. La place est laissée à l’intrigue, avec son lot de questionnements et de surprises, et elle n’en est que projetée en avant, en évitant des détails qui n’auraient pas forcément été nécessaires.
Et que dire des décors ? On passe de cette fameuse maison close, jusqu’à une décharge de ferraille qui ne l’est qu’en apparence sans oublier les rues sordides et ce Dôme qui sépare la haute société du petit peuple. Il y a ce mélange délicat de steampunk avec la subtilité des émotions ressenties par les personnages tout au long de leurs découvertes macabres. Je me suis senti souvent bouleversé par les événements, avec l’envie folle d’intervenir pour tenter de les aider, mais sans savoir quelle en serait l’issue. J’ai été totalement conquis, mais aussi impuissant que ceux dont je lisais les aventures, tellement la tâche paraît insurmontable et inaccessible. Dans cette situation, et avec tout ce qui se produit, je me suis laissé porter, sans jamais deviner ce qui allait se produire à la page suivante, allant de surprises en surprises, plus ou moins bonnes d’ailleurs, puisque c’est tout de même dangereux de circuler en ville par les temps qui courent !
Les personnages sont fabuleux. Violante fait figure de proue avec une vie peu enviable et un passé qui s’est fait la malle. Elle ne se souvient de rien, et sa vie débute lorsqu’elle a été récupérée pour être placée en maison close et satisfaire ses premiers clients. Elle existe au travers de cet être qui n’est pas vraiment elle, et qui répond au nom de Duchesse, comme son nom de scène, sauf que ses spectacles sont un peu différents. Satine, une amie proche de Violante, exerçait dans la même maison avant d’atterrir dans la rue. Cette dernière bravait les interdits pour aller la retrouver régulièrement. Satine est un personnage au destin bouleversant, même si je dois dire qu’il en est de même pour de nombreux aussi protagonistes tels que le jeune Feu et tellement d’autres encore. Et derrière cet aspect glauque et dévastateur, il y a aussi une forte humanité, comme avec Léon, ou encore Madeleine, qui savent venir en aide à leurs protégées, même si leurs raisons peuvent aussi être pécuniaires. Ce roman est une pépite de diversité et de beauté, il y a de la poésie dans les tenues fabuleuses des femmes et dans les immenses aérostats qui parcourent le globe. Même les rues effrayantes d’un Paris uchronique recèlent aussi de leur beauté. Jusqu’au bout, cette histoire aura été pour moi aussi éprouvante que magique !
Ma note : 5/5