Bonjour Gauthier Guillemin, pour ceux qui ne te connaissent pas encore, tu as publié ton premier roman, nommé Rivages, aux éditions Albin Michel Imaginaire. Et, à l’occasion du printemps 2020, une suite quelque peu différente va voir le jour sous le nom La fin des étiages. J’ai déjà hâte !
J’ai beaucoup apprécié ma lecture de Rivages. C’est un roman hors du temps, entre dystopie et fantastique, qui offre de beaux moments de poésie dans l’univers étouffant de la Cité. Quel a été le choix qui t’a incité à développer la Cité dans ton roman ?
L’écriture de ce roman s’étire sur plusieurs années ; moi-même j’ai changé pendant ce laps de temps. Au début, j’avais écrit un premier texte qui se rapprochait plus du conte épique, une forme plus courte. En parallèle, j’avais commencé à écrire un autre récit, résolument post-apocalyptique, et dont l’action se passe entièrement à l’intérieur d’une cité entourée de forêts. Petit à petit, j’ai rapproché ces deux univers jusqu’à n’en faire plus qu’un. Au bout du bout, j’avais donc deux romans : le futur Rivages et un roman post-apocalyptique. Pour l’instant, seul Rivages a vu le jour.
Dans cette ville, il existe une Brèche, seul accès vers le Dômaine, un monde où la Nature règne en maître. Pourquoi cette différence de ton entre la Cité et le Dômaine, entre le tout artificiel et le naturel ? Que représente pour toi la Nature ?
Cette différence existe déjà, je ne fais que la porter à son paroxysme. Bien sûr, il n’y a plus à proprement parler de nature sauvage en France, mais il y a deux réalités qui se côtoient très peu ; elles se mélangent parfois : friches industrielles, jachères en ville, cités-dortoir au milieu de nulle part. Pour ma part, le terme de « Nature » se rapprocherait d’une figure du vivant dans sa globalité, d’une personnification de la planète sur laquelle nous évoluons et dont nous nous serions extraits, dont nous ne ferions plus partie. La Nature dans mes romans, ce serait la biosphère, sans l’humain. Si tu lis ce que l’UNESCO affirme dans son programme « Man and biosphere », on se rend compte, que c’est encore l’homme qui prévaut et non le vivant dans sa diversité. Nous jouons solo.
Rivages devait normalement être un one-shot, mais les choses ont évolué au fil du temps. Comment en es-tu venu à vouloir écrire une suite au roman Rivages ?
Lorsque j’ai terminé Rivages, je pensais vraiment en rester là et me mettre à peaufiner mon texte sur la Cité. Mais j’avais laissé de côté quelques questions qui me tenaient à cœur. J’ai écrit le premier chapitre par amusement, en commençant par une scène que j’avais en tête et qui m’obsédait un peu, parce que le Dômaine me manquait, puis un brouillon de trame est venu. Tout ça a tourné un moment dans ma tête, jusqu’à ce que je me lance et que j’écrive tous les jours. Juste une pause aux deux-tiers pour réorganiser les chapitres.
Lorsque j’ai écrit Rivages, je n’avais pas de plan. Je savais que ce serai un one-shot, mais lorsque tu inventes un univers, articulé à une vision du monde, tu ne peux pas dire à l’avance si tu reviendras dessus ou si tu l’abandonneras. J’écris parce que ça me plaît, parce que ça me fait du bien aussi, donc si je me sens bien dans le Dômaine, pourquoi ne pas y rester un peu ? Je suis persuadé qu’il y a tout un tas de bestioles, de peuples et de paysages qui m’attendent. Ce qui est sûr maintenant, c’est que je laisse pour l’instant les forêts du Dômaine ; ces deux volumes forment un tout qui me convient.
Je vois que tu as l’air d’apprécier le steampunk, comment as-tu découvert ce genre ? Qu’est-ce qui te plaît dans cet univers ?
En fait, j’apprécie particulièrement le dix-neuvième siècle et toute la littérature qui va avec, notamment le roman-feuilleton : Les Mystères du peuple d’Eugène Sue, Les habits Noirs de Paul Féval, Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac. Je suis fasciné par les grappes d’innovation de cette époque : fin 19°, une imprimerie solaire a été inventée, c’est fou ! Bien entendu, la machine à vapeur fait partie de cet imaginaire, et pour de multiples raisons, dont la principale est sans doute cette utilisation finalement assez simple de l’eau, du feu et de la vapeur, c’est mythique et épique en soi. Autour de ce siècle, gravitent aussi toutes les questions des utopies, de la conscience ouvrière, du choix que l’humanité fait pour son avenir. Tout ça pour dire que j’aime avant tout ce siècle où l’humanité commence à grouiller dans les villes et à bouillir de l’intérieur.
Quelles sont les œuvres, littéraires ou non, qui te fascinent le plus dans le monde du steampunk ? Aimerais-tu, un jour, écrire un roman où le steampunk prédomine ?
Je ne lis pas beaucoup de steampunk : j’ai beaucoup apprécié La Lune seule le sait de Johan Heliot, Du sel sous les paupières de Gilles Dumay, Dragon Blood d’Anthony Rayan, et c’est à peu près tout. Je ne sais pas si ça compte, mais j’ai lu tous les Jules Verne chez mon grand-père horticulteur (je ne les conseille pas tous…). J’apprécie quelques anime : Last Exile, Samouraï 7, Steamboy, mais je suis plutôt Nausicaa ou encore Le château dans le ciel. Je suis très éclectique, je lis et je regarde de tout : j’ai beaucoup aimé Tai chi zero, ou encore Sucker punch.
Je ne pense pas écrire un roman steampunk, j’ai plutôt dans un coin de tête un roman sur l’éveil de la conscience ouvrière, sur la tentation du phalanstère, cela fait partie de mon fourmillement de projets.
Si on entre davantage dans le domaine littéraire, et plus particulièrement dans ton expérience personnelle. Quelles ont été les difficultés que tu as rencontrées au cours de l’écriture de ton premier roman ? Et lors de la recherche d’un éditeur ?
Je n’ai eu aucune difficulté à écrire le premier jet. C’était une écriture-plaisir qui a pris plusieurs années ; j’allais de temps en temps rendre visite à Sylve et au Voyageur et arpenter le Dômaine. Les difficultés ont commencé lorsque mon amie autrice Silène Edgar m’a fait une première lecture : une remarque toutes les deux lignes ! Puis lorsque Gilles Dumay de chez Albin Michel Imaginaire m’a proposé de retravailler le texte et de le réorganiser, enfin lorsque qu’il m’a remis le manuscrit annoté et que j’ai entamé le travail de corrections.
Autant dire que les difficultés commencent dès que l’on donne son texte à lire ! C’est le même problème lorsque le roman paraît : je suis passé d’un texte qui me tenait chaud, à un roman que tout un chacun pouvait commenter, avec sa sensibilité, avec ses mots, ses exigences et ses attentes vis-à-vis d’un objet littéraire. Cette première épreuve du flot critique est assez déroutante.
Concernant la parution, je n’ai jamais vraiment cherché un éditeur, c’est paradoxal. Silène m’a lu, plus parce que nous étions amis, pour partager un peu de nos univers intérieurs. Elle m’a dit que cela valait le coup de tenter le speed dating des Imaginales. Je me suis pris au jeu, je me suis présenté devant les éditeurs, j’ai eu de nombreux retours très positifs et j’ai commencé à rêver…
Si tu avais un conseil à donner à tous ceux qui sont en train d’écrire leur premier roman, ce serait lequel ?
J’écris par nécessité, par plaisir et pour m’évader. Donc avant tout et très égoïstement pour moi. Le souci de publication vient après, à la limite, je dirais même que l’éditeur me dit si ça passe ou pas. C’est comme ça que j’ai écrit La Fin des étiages, parce que j’en avait envie, sans me soucier de la réception. Concernant Rivages, j’ai beaucoup aimé le premier retour de Gilles Dumay. Il m’a proposé une réorganisation conséquente du début et a terminé en disant « voyons si nous parlons du même roman ». Après, j’avais le choix : d’autres éditeurs l’auraient sans doute accepté en l’état, mais reprendre le texte était un challenge qui m’a intéressé.
Si l’intention initiale est de parvenir à une publication, je pense que c’est un tout autre travail que je n’ai jamais encore fait. Le seul conseil que je pourrais donner est de ne pas rester isolé et de se faire lire et relire par d’autres, sans fausse pudeur, en étant prêt à entendre le pire comme le meilleur.
Dans ta vie, où écriture et voyages règnent en maître, quel serait ton plus grand rêve ?
J’en ai un paquet, dont voir une aurore boréale. En ce moment, je rêve de m’installer chez moi pour de bon (je vis à deux heures de route de ma maison), tailler correctement nos fruitiers, poser le potager, faire du bois, réparer le four à pain, curer le puit et toutes ces choses qui font que nous appartenons à un tout.