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Fantastique

Abimagique, de Lucius Shepard

By 31 octobre 2019février 13th, 2025No Comments

« C’est la fille coiffée style Halloween. Coupe Morticia Addams, teinture noir de jais, mèches orangées asymétriques. Elle a vingt-quatre ou vingt-cinq ans. Une femme-enfant, songes-tu, qui dévore des biographies d’empoisonneurs célèbres et s’est affublée des piercings les plus douloureux du marché. De la chair à goth typique. Pourtant, une fois passé les cheveux, les robes vintage, la bague-araignée au ventre de perle, les tatouages sur les mains (un crâne de vampire, un cœur humain) et le maquillage outrancier, tu remarques que son visage est empreint d’une douceur et d’une sensualité maternelles qui semblent trop vulnérables pour participer de ce monde moderne… »

Elle a pour nom Abi — diminutif d’Abimagique. Elle est volupté, sensualité, violence aussi, parfois.  Le monde court à sa perte, elle en est convaincue, maiselle dit avoir le pouvoir de sauver ce qui peut l’être… Elle est impénétrable. Possible qu’elle soit Cybèle, Magna Mater, femme sorcière tellurique. Possible aussi que le temps soit venu ; celui du sacrifice…

Le Bélial – 112 pages – 8,90 euros.

Une novella puissante d’où émerge une femme énigmatique et pourtant si attachante…

Une nouvelle fois, me voilà emporté dans la lecture d’un nouvel ouvrage de la collection Une Heure Lumière. Celui-ci est récent et me tentait beaucoup. J’avais déjà pu lire une novella de cet auteur, Les Attracteurs de Rose Street, qui m’avait laissé sur ma faim malgré son univers et ses décors à couper le souffle ! Alors, Lucius Shepard va-t-il remonter dans mon estime de lecteur ?

Imaginez une fille coiffée pour une soirée d’Halloween. Une teinture noire, d’où ressort des mèches orangées. Entre vingt-quatre et vingt-cinq ans, elle ressemble à une femme-enfant qui ne fait que dévorer des biographies d’empoisonneurs. Elle arbore ses piercings, placés dans les endroits les plus sensibles, comme si elle voulait montrer que la douleur ne lui faisait pas peur. Mais une fois tous ces attirails de noirceur mis de côté, comme la bague-araignée, les tatouages, la robe vintage et le maquillage, elle ressemble à une femme trop vulnérable pour vivre dans ce monde moderne. Pendant la semaine, elle déjeune souvent au même endroit. Un restaurant teriyaki situé dans le quartier de l’université à Seattle. Quand l’affluence le lui permet, elle prend place là où Bill Gates avait mangé lui aussi, à la même table. Les polaroids affichés au mur sont là pour rappeler cet instant mémorable.

Ses habitudes sont ancrées en elle. Elle commande le menu 3, spécial vegan, accompagné d’une bouteille d’eau. En mangeant, elle lit des livres brochés. Mais lorsqu’il pleut, elle se contente de contempler la pluie, avec une fascination presque maladive. Elle doit être du coin, autrement les gens ne s’offusquent pas du mauvais temps, et voient en cette pluie un voile consolateur qui se pose sur la ville. Personne ne cherche à la draguer, les autres hommes ont peut-être peur de son accoutrement qui fait penser à un déguisement. D’autres encore peuvent penser qu’elle réduirait leurs avances à néant en les envoyant balader. Pourtant, cette jeune femme est superbe, et son corps voluptueux la met clairement en avant. Et puis, il y a une sorte d’aura qui émane d’elle. Avec elle, il ne faudrait pas s’embarasser de dire des banalités. Avec une femme telle que celle-ci, un discours plus original s’avérerait nécessaire pour l’intéresser et passer au stade supérieur en sa compagnie.

C’est une histoire qui se vit, comme si on incarnait nous-même le narrateur, c’est une vision troublante que j’ai adoré !

J’adore ce genre de lecture ! Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai été de suite emporté dans cet univers à la fois étrange et fascinant. Je dois dire que l’utilisation de la deuxième personne du singulier doit en être pour quelque chose. Le narrateur, c’est nous, enfin moi, le lecteur qui lit cette histoire, vous m’avez compris ! Forcément, je me suis senti impliqué dans la vie de cet homme qui se retrouve face à une femme singulière. Abi, de son diminutif Abimagique, est particulière autant sur le plan physique que mental. Avec ses piercings et sa façon de se vêtir, elle ressemble à une gothique. Pourtant, son visage appelle à la douceur, à vouloir s’éloigner de la raideur de ce monde qui n’est pas pour elle. Comme si elle cherchait à se sortir de ce moule qui ne lui convenait pas, en choisissant une apparence presque effrayante. Mais autour de cette femme, il y a comme une aura qui a attiré le narrateur jusqu’à elle. Une puissante envie d’apprendre à la connaître, de faire partie de sa vie…

Étrangement, même si beaucoup de jeunes hommes la dévisagent, aucun ne se tente à lui tenir compagnie. Toute l’histoire tourne autour de cette femme, et chaque chapitre ouvre la voie à une nouvelle particularité de sa personnalité. J’ai appris à connaître davantage Abimagique, qui est tout de même parfois perchée. C’est un univers nouveau dans lequel le narrateur va s’insérer, en y mettant toute son âme. Une relation amoureuse va naître de cette union particulière, comme une addiction contre laquelle il ne pourra plus lutter. Il va entrer dans une machinerie dont les rouages vont se refermer sur lui, avec des prises de conscience, des doutes et beaucoup de réminiscences personnelles. Cette novella est d’une efficacité incroyable, je me suis senti aussi oppressé et heureux que le narrateur lui-même. Certaines scènes sont d’ailleurs osées, et apportent un gros plus à l’intrigue. Cela permet d’entrer dans la sphère intime entre Abi et le narrateur.

Abimagique est une lecture fantastique, à la limite du surnaturel, qui crée une montée en tension effroyable. Tous les sentiments humains sont représentés, de la naissance d’un amour incontrôlable, presque divin, jusqu’à des moments plus douloureux. De nombreuses surprises vont croiser la route du narrateur, avec peut-être, à la clé, des réponses à ses questions qui n’en finissent plus de tourner dans ses pensées…

Ma note : 5/5

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